Cameroun : Ernest Ouandié, le "dernier des Mohicans"
15 janvier 2011
Rebecca Tickle
Sur la grande place à Bafoussam, les habitants de la bourgade sont rassemblés en silence en ce triste 15 janvier 1971 peu avant 11h du matin. L’exécution des « rebelles » de l’UPC aura lieu d’un moment à l’autre, et les badauds sont arrivés de toutes parts.
Rebecca Tickle
Sur la grande place à Bafoussam, les habitants de la bourgade sont rassemblés en silence en ce triste 15 janvier 1971 peu avant 11h du matin. L’exécution des « rebelles » de l’UPC aura lieu d’un moment à l’autre, et les badauds sont arrivés de toutes parts.
Ernest Ouandié arrive, menotté, encadré par la soldatesque locale ; il marche droit, la tête haute et souriant, à l’image du militant infatigable qu’il a été, en compagnie de deux de ses compagnons d’infortune. L’atmosphère sur la place est très lourde et imprégnée de tristesse. Attaché au poteau d’exécution non loin des locaux de la police judiciaire, il refuse qu’on lui bande les yeux. Il préfère affronter la mort en toute conscience.
Face au peloton d’exécution, il sourit toujours, et ses dernières paroles, prononcées haut et fort, resteront gravées dans l’Histoire, et dans la mémoire du peuple camerounais. Il considère qu’être exécuté pour la liberté de son pays est un honneur, et exprime sa certitude qu’après lui, d’autres continueront le combat jusqu’à la victoire. Il se met à chanter.
A peine ses mots déposés dans les esprits de ceux qui sont là sur la grande place, le crépitement des armes retentit. Après la première salve, on entend la voix d’Ernest Ouandié crier « Que vive le Cameroun », et il tombe, criblé de balles, aux côtés de Gabriel Tabeu alias Wambo le Courant, et du jeune Raphaël Fotsing. Un officier européen se détache de l’assistance, s’approche de Ouandié mourant, s’agenouille auprès de lui, met la main à son étui de revolver, se penche en avant et tire à bout portant.
Le Cameroun est officiellement indépendant depuis janvier 1960.
* * *
Né en 1924 à Ndumla, arrondissement de Bana dans le Haut-Nkam, le jeune Ernest Ouandié sera très tôt confronté aux injustices brutales des colons français. Alors qu’il n’est âgé que de 3 ans, la famille vivant à l’époque à Bangou, son père est déporté dans les plantations de café à Djimbong dans le Haut-Nkam. Contraint aux travaux forcés, il y restera trois longues années avant de revenir malade.
En effet, sous le régime colonial de l'indigénat, les colonies françaises suivaient Code de l’Indigénat, qui octroyait un statut légal inférieur aux populations des colonies françaises. Les travaux forcés faisaient partie du système des Taxes et Travaux forcés, corollaires aux Amendes et Peines, dont le but était véritablement de tirer le maximum de profit des populations locales. La plupart des grands projets coloniaux en termes d’infrastructure, soit les routes, les mines ou les plantations, étaient basés sur les travaux forcés obtenus par des prisonniers qui purgeaient des peines spéciales arbitraires. Les colons d’ailleurs estimaient que ces « contributions » étaient le tribut à payer par les indigènes pour la pacification, l'accès à la « civilisation » et à la protection. Dans la même perspective, l'impôt apparaissait comme « la juste rétribution des efforts du colonisateur, l'application normale du droit absolu d'obliger les populations noires, auxquelles il apporte la paix et la sécurité, à contribuer dans la mesure de leur moyen aux dépenses d'utilité générale ». Albert Londres, journaliste au Petit Parisien écrit d’ailleurs en 1928 à propos des indigènes africains que « ce sont les nègres des nègres. Les maîtres n'ont plus le droit de les vendre. Ils les échangent. Surtout ils leur font faire des fils. L'esclave ne s'achète plus, il se reproduit. C'est la couveuse à domicile. »
Bref, Ernest Ouandié naît dans un véritable bouillon de culture, et dès l’âge de 9 ans son éducation est prise en main par son oncle Kamdeu Sango qui l’inscrit à école publique de Bafoussam. Il y côtoie même, pendant 3 ans, certaines futures têtes pensantes, dont Tagny Mathieu qui deviendra le président de la section du Nyong et Sanaga de l’UPC, et Feyou de Happy qui sera dans les affaires politiques et de sécurité d’Ahidjo. Quittant ensuite Dschang, son CEPE en poche, il entre à l’Ecole Primaire Supérieure de Yaoundé, section enseignement, où il obtient finalement le Diplôme des Moniteurs Indigènes (DMI) en novembre 1943.
Nous avons donc affaire à un homme dont les convictions sont formées par les dures réalités du terrain dès son plus jeune âge, un homme instruit et conscient de son environnement, et surtout doté d’un amour infini pour sa patrie. Tous les ingrédients sont là pour mener Ernest Ouandié sur le chemin de sa destinée qui est celle de contribuer à la libération des consciences de ses compatriotes, et à la rébellion contre une force d’occupation brutale et sans remords.
En tant qu’enseignant, il subira de nombreuses sanctions disciplinaires sous forme d’affectations incessantes en raison de ses convictions politiques. Bien que déstabilisant sur le plan logistique, ces déplacements favoriseront une bonne diffusion de ses idées et de ses certitudes. C’est ainsi qu’il passera par Edéa, Dschang, Douala quartier New-Bell Bamiléké, Doumé, Yoko, Batouri, Bertoua et finalement encore Douala. Dès 1944, parallèlement à son travail d’enseignant à Edéa, il s’engage à l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun, affiliée à la CGT française, au grand désespoir des colons et du gouverneur. Militant dès 1948 au sein de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), il en est élu vice-président 4 ans plus tard. Le rythme de ses affectations s’accroit en même que la perception du danger par le colon envers un homme qu’il estime de plus en plus dangereux, et qu’il faut chercher à saper à tout prix. Mais rien ne peut arrêter l’élan d’un homme inséré dans un mouvement dont l’objectif et la détermination inusable, visent la libération du pays de l’emprise coloniale. Ouandié est désormais chargé de l’organisation du mouvement et dirige la Voix du Cameroun au 2ème Congrès de l’UPC à Eséka.
Ses pérégrinations forcées par l’administration coloniale permettront l’implantation de l’UPC dans le Mbam. Ouandié assiste au Congrès Mondial de la Jeunesse Démocratique en Chine, et voyage aussi à Paris et à Moscou. Les efforts de déstabilisation orchestrés par les colons n’entravent en rien la progression d’une vulgarisation des valeurs de l’UPC à travers le Cameroun, au rythme d’une trainée de poudre à canon, et ce malgré les vaines tentatives de l’administration coloniale de garder le contrôle sur les responsables de l’UPC. Ouandié devient de plus en plus populaire, et va jusqu’à critiquer publiquement la voix de Sedar Senghor appelé à la rescousse par la France pour convaincre les camerounais d’abandonner leur revendication d’indépendance nationale. Ouandié brave tous les interdits et contribue à la marche du destin du Cameroun.
Finalement, l’administration coloniale française interdit l’UPC en 1955, après les nombreuses tentatives d’enrayer le mouvement à force de massacres et d’arrestations de militants et de cadres du mouvement. Les dirigeants de l’UPC entament ainsi le chemin de l’exil, et Ernest Ouandié se réfugie d’abord à Kumba, au Cameroun britannique, jusqu’au moment où le mouvement y est également interdit à l’instigation des autorités françaises. Mais l’UPC continue à se développer malgré la déportation de Ouandié avec une douzaine de ses collègues successivement vers Khartoum, Le Caire, Conakry et Accra. La lutte pour la popularisation et la recherche de moyens financiers et matériels devient de plus en plus acharnée après 1957. L’organisation est renforcée, ainsi que la formation des cadres.
Le 1er janvier 1960, le Cameroun devient indépendant, et Ahmadou Ahidjo, garant officiel du néocolonialisme français au Cameroun, est élu Président en mai 1960.
Le 3 novembre 1960, Félix Moumié, Président de l’UPC, est assassiné par empoisonnement à Genève par les services secrets français. Nous sommes en pleine guerre froide, et la neutre Suisse ferme les yeux, adhérant aux convictions occidentales à la mode, qui diabolisent ces nationalistes financés par le "diable rouge" communiste représenté par la Chine et l’Union Soviétique.
Le Cameroun ressemble davantage à un département français d’outremer qu’à une république indépendante et souveraine.
Ernest Ouandié prend la direction de l’UPC, et devient l’ennemi public no 1 de l’administration néocoloniale. Revenu clandestinement au Cameroun afin de poursuivre la lutte sur le terrain, il dirige, organise, et forme sans relâche. Les autorités ont voulu la guerre, et désormais ce ne sera plus que par la guerre que l’UPC pourra se faire entendre. Dès 1962, Ouandié monte une école de cadres politiques et construit des centres de soins. Très activement recherché, il échappe à plusieurs trahisons, et se replie dans le Haut-Nkam.
Pendant neuf ans, il résiste de façon très solitaire, peu à peu privé du renfort de ses bases arrière, sans aucun ravitaillement, traqué impitoyablement par une armée néocoloniale assujettie à la France, et qui a juré sa perte. Doté d’un mental sans pareil qui dépasse de loin celui de ses pairs, il est progressivement abandonné et trahi par les siens. Il fini par se rendre lui-même en août 1970 et se laisse arrêter sans opposer de résistance.
Torturé et interdit de toute visite de ses avocats pendant six mois, il est jugé par le Tribunal militaire de Yaoundé en décembre 1970, dans le-dit « procès de la rébellion». Il écoutera la tête haute le verdict de sa peine capitale.
Entre un Ahmadou Ahidjo Président et un Paul Biya Secrétaire-général adjoint à la présidence, malgré un mouvement international de protestation contre les conditions inéquitables de son jugement, Ouandié est transporté à Bafoussam, et exécuté publiquement le 15 janvier 1971.
Reposant au cimetière de l’église protestante de Bafoussam, il sera réhabilité en 1991 par l’Assemblée Nationale du Cameroun et proclamé Héros National.
* * *
La morale de cette histoire se trouve dans l’esprit des Camerounais d’aujourd’hui, et surtout de ceux qui se disent cherchant l’émancipation du Cameroun et sa libération des griffes d’un pouvoir népotique et profondément destructeur. A 40 ans de l’exécution/assassinat d’Ernest Ouandié sur la place appelée aujourd’hui Place des Martyrs de Bafoussam, la question cruciale est de savoir où nous en sommes aujourd’hui. Car en vérité, tous les rôles de l’époque sont là encore maintenant : une petite poignée de vrais militants infatigables, isolés et/ou mal entourés, ensuite ceux qui font semblant de militer, qui suivent le mouvement parce que c’est la mode ou pour la gloire, ceux qui trahissent de l’intérieur, les corrompus et avides de pouvoir et d’argent, le dictateur qui veut être tranquille, ceux qui bénéficient de ses bontés, ainsi que ceux qui lui dictent sa conduite et qui perpétue la formation en cours d’emploi.
Qu’avons-nous donc appris des sacrifices des Héros Nationaux camerounais et des autres ?
La question là nécessite une réponse sincère et sans détour, avant de continuer…
Mais attention, demain est déjà là !
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