L'Afrique plus que jamais au coeur des enjeux stratégiques


Rebecca Tickle




Le cinquantenaire de ce que l'on a appelé les «indépendances » africaines est à peine passé, peu glorieusement commémoré il faut l’avouer, et voilà que, comme pour le narguer, le second cinquantenaire de ces mêmes « indépendances » commence par une année chargée de dix-sept élections présidentielles sur le continent africain.

Des élections présidentielles, qui dans l’absolu devrait permettre à ces peuples de choisir librement leurs nouveaux dirigeants, mais qui en réalité ne font qu’asseoir le pouvoir d’une classe dirigeante autocrate et corrompue, dont la principale fonction est de garantir les intérêts économiques des grandes puissances occidentales, en échange d’une impunité totale en matière de gouvernance profondément indécente, au mépris complet des droits humains les plus essentiels.

Ce premier cinquantenaire, ponctué de malversations économiques et politiques à large échelle de la part de ceux qui se considèrent sur le papier comme les « nouveaux partenaires » économiques, est le symbole de l’emprise occidentale sur des enjeux économiques d’une importance vitale pour des pays qui, comme disait la chanson, ont les idées, mais pas le pétrole.

A cet égard, nous ne pouvons oublier les assassinats politiques de personnalités, qui ouvertement et par des actions concrètes, ont cherché à rendre effectives ces indépendances qui ne l’ont finalement été que de nom, à l’instar d’Um Nyobè, Sylvanus Olympio, Félix Moumié, Patrice Lumumba, Barthélémy Boganda, Thomas Sankara, Amilcar Cabral, pour ne citer que ceux-là. Nous avons ainsi vu naître et grandir à travers la bénédiction des puissances occidentales pauvres en matières premières, une classe de malfaiteurs politiques de très haute voltige, tels qu’Ahmadou Ahidjo suivi de Paul Biya, Gnassingbé Eyadéma suivi de son fils Faure, Sésé Seko Mobutu dont la relève est assurée par Joseph Kabila, sans oublier les garants d’aujourd’hui que sont les Idriss Déby, François Bozizé, Sassou Nguesso, Ali Bongo, Teodoro Obiang, et consort, régnant d’une main d’acier sur des pays où se côtoient de la manière la plus provocante qui soit, luxe clinquant, dictature sanglante et dénuement total.

D’autres, de manière plus sournoise assurent, les biens occidentaux, et agissent en receleurs disposant de la chose publique pour le bienfait de leurs poches et de celles de multinationales et d’entreprises bénéficiant de contrats très juteux et complètement déséquilibrés surtout eu égard de la vraie valeur de la marchandise, et ce, particulièrement au détriment des populations locales. Nous nous devons ici d’avoir une pensée pour les peuples du delta du Niger au Nigéria, et des Touaregs du désert nigérien, qui au nom du pétrole pour les uns, et de l’uranium pour les autres, mènent une existence de misère totale, face à des gouvernements aveuglés par une manne qui ne leur appartient pas, et une aide humanitaire dont ils voient plutôt les intérêts à rembourser que le capital de départ.

Nous nous devons ici également d’avoir une profonde pensée pour les plus de 6 millions de victimes à l’est du Congo, sacrifiés au nom d’un sous-sol scandaleusement riche, dont les grandes puissances se disputent les immenses intérêts par pions-dictateurs et milices interposées, tous aussi sanguinaires les uns que les autres.

Les enjeux du premier cinquantenaire ont donc été clairement circonscrits autour des pays issus du partage des grandes puissances occidentales à la Conférence de Berlin en 1885. Ensuite la Conférence de Yalta en 1945, dessinant les conditions de la Guerre Froide jusqu’en 1992, accentua la déstabilisation du continent africain par des guerres d’influence imposées par les deux blocs.

Aujourd’hui, en plus de ces acteurs existant, dans le cadre d’une mondialisation effrénée et d’une polarisation qui se cherche encore, nous assistons à l’émergence et à l’assise renforcée de nouvelles puissances économiques mondiales, telles que l’Inde et la Chine notamment. Cette dernière, bien que présente depuis un bon cinquantenaire, réussit à imposer une compétition très menaçante aux puissances occidentales, les forçant à repenser leur échiquier stratégique en fonction des enjeux qui ne font que se diversifier.

C’est ainsi que dans cette course, nous assistons notamment à une Françafrique d’apparence en perte de vitesse, mais qui en fait cherche à sécuriser sa place entre des Etats-Unis devenant de plus en plus offensifs malgré leur relation politico-historique, et une Chine plus gourmande que jamais. Certains observateurs relèvent aussi l’émergence de nouveaux défis stratégiques, dont parle notamment Pierre Péan dans son dernier ouvrage sur les guerres secrètes en Afrique (« Carnages », aux éditions Fayard, 2010), qui démontre une diversification très compétitive des acteurs économiques ainsi que des axes stratégiques sur le continent africain, notamment en passant par le Soudan et la région des Grands-Lacs, et ceci tout spécialement depuis la chute du mur de Berlin.

L’avenir de l’Afrique aujourd’hui semble donc se jouer à travers une guerre exponentielle des contrats et des concessions sur l’exploitation des ressources naturelles omniprésentes sur le continent, entre des acteurs économiques de plus en plus nombreux et puissants. Les derniers événements en Côte d’Ivoire et en Libye, mettent à nu l’extrême nervosité des Occidentaux quant à l’accès aux matières premières, supprimant les considérations d’ordre éthique ou humanitaire, ainsi que la complexité des rapports de pouvoir autour de l’exploitation de ces ressources.

Comme on dit, quand les éléphants se battent, ce sont les herbes qui souffrent. C’est ainsi que des millions d’Africains se retrouvent entre les différentes lignes de front, se sachant pas encore comment s’organiser pour se cramponner à des miettes de bénéfices sur les ressources naturelles, qui dans l’absolu leur appartiennent, et qui sont si universellement convoitées. C’est ainsi que les révoltes populaires récentes en Afrique du nord, ainsi que le grondement très sourd, bien qu’encore peu efficace, en Afrique sub-saharienne, ajoute une pression socio-économique sur la course aux enjeux stratégiques. Et c’est ainsi également, que depuis l’immolation par le feu du jeune Bouazizi en Tunisie, un acteur supplémentaire que l’on pensait définitivement enfoncé dans sa soumission de colonisé, a refait surface, de façon plus ou moins structurée.

Si les révoltes en Afrique du nord sont rapidement devenues une force que l’on ne pouvait plus désormais ignorer, il n’est pas encore tout à fait de même avec les peuples subsahariens qui souffrent de façon chronique et exponentielle de fléaux tels que pauvreté extrême et manque d’instruction généralisé, ainsi que d’une corruption doublée d’une impunité profondément ancrée dans la société du sommet à la racine. Face à des dictatures extrêmement répressives, bénéficiant de l’appui et de la validation implicite des puissances occidentales en termes de fraudes électorales systématiques et très bien développées, de violations des droits humains extrêmement grossières au nez et à la barbe d’une communauté internationale qui consentante, au nom des enjeux stratégiques de plus en plus vitaux pour les sociétés occidentales qui en dépendent.

Comme lors de la course mondiale aux armements pendant la Guerre Froide, pour la détention de l’enjeu suprême - l’arme atomique -, où de nombreux observateurs inquiets se demandaient jusqu’où irait l’escalade, on est en droit de se demander à quelle implosion monumentale nous allons assister dans cette véritable poudrière que représente l’Afrique aujourd’hui, entre des populations de plus en plus conscientes et des enjeux politico-stratégiques de plus en plus pointus.

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