Le Togo, pays des dictatures de père en fils

Rebecca Tickle



« Sous un manguier, dans une cour du quartier de Bè, la mère d'Alofa Koimivi, assise par terre, hébétée, se frappe la poitrine en gémissant. Le corps de son fils de 18 ans repose sans vie à l'abri d'une bâche, une balle en pleine poitrine. Le père reste sans voix, il n'a pas de quoi payer les funérailles.»

Les Togolaises et les Togolais ont peur, et surtout ils ont l’habitude d’être malmenés ! On pourrait vraiment craindre un courage insuffisant pour se soulever contre ce boulet si lourd qu’est l’armée togolaise et son dauphin nouvellement choisi.

La journée « Togo mort » organisée lundi 14 février par l'opposition pour protester contre le coup d’Etat du président investi Faure Gnassingbé a été peu suivie à Lomé, sauf dans les quartiers de Bè et Dékon, deux fiefs de l'opposition, où un manifestant a été tué par des gendarmes.

La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), a continué d'exiger des nouvelles autorités togolaises un retour à la légalité dans ce pays avec l’appui discret de la communauté internationale! Où sont les protestations de Monsieur Chirac, et celles de Monsieur Blair, ou de Monsieur Schroeder, ou de Monsieur Bush ! Leur véhémence envers les méfaits de Saddam Hussein a été bien efficace! Alors pourquoi pas envers la famille Gnassingbé…

Bè et Dékon ont parlé pour le Togo, les magasins n'ont quasiment pas ouvert lundi, a constaté l'AFP. Ces deux quartiers avaient déjà été le théâtre de violentes manifestations samedi au cours desquelles trois personnes avaient été tuées par les forces de l’ordre.

Les patrouilles militaires ont empêché tout attroupement. Des restes de pneus brûlés lors des affrontements de samedi entre manifestants et forces de l'ordre étaient encore amoncelés à certains carrefours de Bè et Dékon, témoins de la rébellion locale.

Pourtant, deux dirigeants de l'opposition ont estimé que cette journée « pays mort » avait été mieux suivie que celles organisées la semaine dernière, les 7 et 9 février. Selon Me Yawovi Agboyibor, président du Comité d'action pour le renouveau (CAR), l'une des principales formations de l'opposition, « les populations ont massivement suivi notre mot d'ordre, la plupart des magasins sont resté fermé ».

Dans le reste de la capitale, la situation est restée calme. La circulation semblait plus fluide et les rues moins animées que d’habitude. Pourtant les boutiques ont ouvert normalement ainsi que le grand marché d'Assinganmè, a constaté l'AFP. Un supermarché est resté ouvert au centre ville et les clients y ont afflué. Quant à la route du front de mer, les forces militaires y sont resté stationnées sous l’ombre des cocotiers.

Selon les six partis d'opposition qui l'organisaient, cette journée visait une nouvelle fois à protester contre « l'empêchement de l'exercice d'un droit et l'accomplissement d'un devoir constitutionnels » après le coup d'Etat du président investi Faure Gnassingbé.

La communauté internationale réclame également l'organisation rapide d'élections dans le pays, à l'instar de la France qui, avec une pudeur bientardive à l’égard du régime de Lomé, a demandé lundi la tenue « dans les plus brefs délais d'élections présidentielles et législatives libres et démocratiques pour retrouver la voie de la légalité.»

La France tente seulement de faire oublier qu’elle a largement contribué à tout fausser dans le processus constitutionnel, escroqué, et dans un processus démocratique sans cesse bafoué. Paris n’a cessé d’organiser de pseudo-médiations qui ont chaque fois découragé les opposants authentiques, aboutissant au boycott du scrutin législatif de 2002 et à l’élection d’une Assemblée quasi-totalement eyadémiste.

Sous la menace de l’application par la CEDEAO de son protocole sur «la bonne gouvernance », qui prévoit des sanctions en cas de non-respect de ses critères, ainsi que le réveil de la population togolaise, on ose déjà espérer que l’ordre constitutionnel n’a pas complètement été oblitéré de l’esprit du nouveau gouvernement togolais. Aux dernières nouvelles, celui-ci n’exclu pas un retour à l’ordre constitutionnel, et en l’absence de signes positifs, la délégation de la CEDEAO en visite à Lomé a estimé « très fructueuses et encourageantes » les discussions en cours avec les autorités togolaises.

Mais il est trop tôt pour être optimiste. Les autorités togolaises ne vont pas abandonner aussi facilement. Le bluff a certainement un bon rôle dans la partie. Le gouvernement cherche à gagner du temps et à calmer le jeu surtout au niveau international. La junte compte apparemment dans ses rangs de bons stratèges, au plan national les média ont rapidement été muselées. En effet, trois radios et une chaîne de télévisions privées ont été fermées pour un mois par les autorités, dans la soirée 11 février, pour «incitation à la désobéissance civile et à la révolte». Quelques heures auparavant, leurs locaux avaient été mis sous scellés, officiellement pour «raisons fiscales».

Et la vague de censure continue. Au total, une soixantaine de radios et télévisions pourraient être fermées. Tout cela ne présage rien de bon quant à la soit-disant bonne volonté de la junte au pouvoir, qui ne fait que les yeux doux devant la CEDEAO pour le moment ! Espérons seulement que celle-ci restera lucide jusqu’au bout.

En attendant, les manifestations de protestations parfois massives se poursuivent dans le monde. La diaspora ne peut jamais laisser tomber dans l’oubli un Togo méconnu qui ne produit que du phosphate et des dictatures héréditaires !

Dans toutes les grandes villes, en France, en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis, en Afrique, des marches et des manifestations sont organisées sans relâche par les communautés togolaises. Lilles le 11 février, Poitiers, Genève et Montréal le 12 février, Paris le 13 février, Hambourg, Berlin et Londres le 14 février, Paris et Washington le 16 février, Berne et Bruxelles le 15 février, Chicago et New York et La Haye le 18 février, Ottawa le 19 février, Paris le 20 février, Strasbourg devant le Parlement Européen le 23 février, Mainz et Francfort les 25 et 26 février, en ne citant que les principales et sans compter évidemment les marches pacifiques à l’intérieur du Togo, comme celle du 12 février à Sokodé qui a rassemblé plus de 7000 personnes!

Les Togolais de l’extérieur, citoyens du monde, sont à l’intersection entre le Togo et la communauté internationale. Ils doivent et ils veulent contribuer à la sauvegarde de leur pays, ils veulent voir le Togo refleurir dans la prospérité, la paix et le respect des droits humains.


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