Le désarmement en Centrafrique, le souci de quelles autorités?
Rebecca Tickle
Nous parlons de matériel militaire qui continue à déferler et à circuler dans le pays au quotidien, se rajoutant aux armes diverses issues des 11 coups d'Etat et 6 mutineries en 55 ans d'"independances".
Alors que tout le monde connait parfaitement la situation, aucun désarmement n'a jamais eu lieu, et ce depuis des décennies. Aucun Centrafricain n'est sûr dans son pays.
Niveau socio-économique, on ne vit pas, on végète. Aliments les plus fréquemment consommés, la boule de manioc et les chenilles, à toutes les sauces. A Bangui, ce sont les rumeurs psychoticogènes qui gèrent la population tous les jours. Trois coups de feu tirés au centre-ville, et dans la périphérie on parle déjà de coup d'Etat.
A cela s'ajoute un taux d'analphabétisme dramatiquement exponentiel, avec la présence de plus en plus fréquente d'enfants de 5 à 15 ans déscolarisés, ou très mal scolarisés, avec des enseignants laissés à l'abandon, des structures scolaires à peine praticables, des fournitures souvent inexistantes et un système scolaire complètement dépassé. Seules quelques très rares écoles privées tiennent le choc.
Le phénomène n'est pas nouveau puisque nombreux sont les jeunes de 20 à 30 ans qui parlent mal ou très mal le français, preuve malheureusement irréfutable d'une scolarité - francophone par définition - très lacunaire.
Les enfants des rues, de plus en plus nombreux depuis ce que tout le monde appelle "les évènements", vivent dans des conditions épouvantables, chassés et houspillés de tous les côtés, se drogant à la colle ou au tramadol, malades ou avec de graves blessures laissées sans soins, sans nourriture digne de ce nom, condamnés à mendier ou à commettre des vols. Par temps sec ils dorment à la belle étoile, sous des souches d'arbre ou dans des abris de fortune par pluie diluvienne. Certains sont dans la rue depuis quatre ou cinq ans, issus de familles déchirées par la pauvreté et les violences, et ont pour une grande partie entre 9 et 15 ans. Ils ont traversé les temps de brutalités extrêmes et de tueries intercommunautaires à la dure, forcés de se battre pour survivre dans un monde qui leur a volé leur enfance. Rares sont ceux qui savent écrire leur nom ou qui se rappelle du dernier signe d'affection qu'ils ont reçu. Une génération toute entière de perdue, dont le réel impact sur la société centrafricaine ne se ressentira que dans cinq ou dix ans.
La valse des ONG bat son plein et c'est la guerre des drapeaux flottant sur les 4x4, à qui fera le meilleur marketing visuel. "C'est pour augmenter la visibilité" me dit-on à Bangui d'un ton narquois. Tout est question d'argent, le mot "financement" le premier et le dernier mot dans toutes les bouches dans le domaine. Un immense business humanitaire, dont les bénéficiaires ne sont en tout cas pas ceux que l'on mentionne sur le papier, soit les populations nécessiteuses. Un architecte béninois montrait un jour fièrement les superbes habitations qu'il faisait construire quelque part au milieu de nulle part pour les expatriés de je ne sais quelle organisation. La belle vie quoi.
Dans le même ordre d'idée, un géologue doctorant congolais en génie du risque naturel, consultant à Kinshasa, m'expliquait comment les experts expatriés gagnait au moins 1000 dollars par jour, alors que les experts nationaux, possédant souvent les mêmes diplômes universitaires occidentaux, gagnaient à peine 200 dollars par jour. Un système très néocolonial somme toute, avec une culture de l'exploitation et de l'inégalité de traitement devenus la norme.
A Bangui, la Minusca, omniprésente, se laisse dépasser dans des accrochages avec des malfrats souvent connus de tous qui déambulent librement depuis des mois. Les arrangements négociés sont partout. Les évasions de la maison d'arrêt, on en ricane deux minutes à chaque fois, et on passe à autre chose. Pourtant il n'y a qu'une seule grande porte à surveiller à la maison d'arrêt de Ngaragba. Les gros murs style "château fort" bariolés aux couleurs du drapeau centrafricain, couronnés d'un fouillis de barbelés inextricables, n'impressionnent même plus ceux qui ont de l'argent ou des soutiens.
4300 déplacés au camps de M'poko, oubliés. De véritables damnés de la République.
Sous des bâches en plastiques rafistolées avec de la ficelle, ils sont là depuis un an et sept mois. Ils restent, parce que disent-ils, là au moins ils ne sont pas à la merci des braqueurs de leur quartier, où dans leur maison, il ne reste plus de porte ni d'ustensiles de cuisine. Comme aide alimentaire, du savon et du sel. En parcourant ce qui est devenu un immense terrain vague envahi par les herbes, on ne croise guère que des regards éteints par un découragement extrême. Les ONG e sont présentes que par leurs pancartes.
Niveau logistique, l'enclavement du pays est insuffisant pour expliquer la situation dans les provinces, sans parler d'une misère omniprésente inqualifiable. Au nord du pays, de Kaga Bandoro à Ndele, 335 km de piste boueuse et accidentée, on roule pendant 24 heures sans dormir. Tous les axes routiers sont moisis par les braquages incontrôlés. Un cauchemar, c'est le paradis à côté. Un commerce hypothéqué à souhait, les populations vivent dans la famine et le dénuement extrême. Moins loin de Bangui, Bossangoa à 300 km au nord-ouest de la capitale, la malnutrition infantile est dramatique selon un médecin centrafricain sur place.
On dit au peuple centrafricain aujourd'hui qu'il va voter pour son nouveau président avant la fin de l'année 2015. Les plus réalistes se demandent à quoi ça sert encore d'aller voter, en observant, désabusé, le ballet incessant des déclarations de candidature de businessman, d'aventuriers, anciens candidats, anciens maires ou ministres, et autres diseurs de bonne aventure, parmi lesquels se comptent sur les doigts d'une seule main les personnalités qui en valent la peine. Le citoyen lamda a perdu ses illusions. Les plus espérants attendent le Messie. Certains pensent que seule la France peut leur donner un gentil président comme me l'a confié un jour un taximan banguissois.
Les bureaux de recensement de Bangui ont déjà fermé leurs portes depuis bientôt un mois et la plupart des agents recenseurs réclament leur salaire au gouvernement de transition. On n'ose même plus évoquer que le budget ad hoc a "peut-être" déjà été avalé de la façon la plus traditionnelle en RCA depuis un temps.
Dans tout ça, on oublie souvent l'essentiel. Le désarmement....
Sangaris n'était-elle pas arrivée en décembre 2013 pour désarmer les belligérents!? Les Banguissois ont tous vu de leurs propres yeux que le désarmement promis n'a tout simplement pas eu lieu. Dans toutes les chaumières on se demande bien pourquoi la France n'a pas fait ce qu'elle disait qu'elle allait faire: le désarmement.
La Minusca...? En voyant son quartier général et la qualité de son installation, on comprend facilement que, désarmement ou pas, la Minusca ne partira pas de sitôt.
Avec un déploiement maximal autorisé par l'ONU de 12 000 personnels, dont 11 200 soldats, il s'agit bel et bien d'une entreprise à long terme, à but lucratif sans le moindre doute. Un vrai business sur le dos de "la crise" disent certains, tout comme la Monusco à l'est du Congo "démocratique" où se concentre le conglomérat minéral probablement le plus riche au monde. En 15 ans avec actuellement 19 500 soldat de 57 pays, la Monusco n'a pas - encore - réussi à ramener la paix en RDC.
De la question du désarmement à Bangui, une belle source de revenu pour certains, un enrichissement illicite devenu habituel, voire normal, on ne parle même plus de toutes les ressources au bénéfice d'un DDR devenu de plus en plus hypothétique depuis la conclusion du Dialogue National de 2009. Détournements méthodiques et impunité font partie intégrante du système.
En évoquant tout ce fatras, non exhaustif, de rêves massivement cassés à petit feu, on est obligé de conclure que pour l'essentiel il n'y a tout simplement pas de volonté politique en faveur d'une quelconque évolution venant d'en-haut.
Le seul "désarmement" qui a eu lieu en Centrafrique jusqu'à ce jour n'est même pas un désarmement.
Nous parlons de matériel militaire qui continue à déferler et à circuler dans le pays au quotidien, se rajoutant aux armes diverses issues des 11 coups d'Etat et 6 mutineries en 55 ans d'"independances".
Alors que tout le monde connait parfaitement la situation, aucun désarmement n'a jamais eu lieu, et ce depuis des décennies. Aucun Centrafricain n'est sûr dans son pays.
Niveau socio-économique, on ne vit pas, on végète. Aliments les plus fréquemment consommés, la boule de manioc et les chenilles, à toutes les sauces. A Bangui, ce sont les rumeurs psychoticogènes qui gèrent la population tous les jours. Trois coups de feu tirés au centre-ville, et dans la périphérie on parle déjà de coup d'Etat.
A cela s'ajoute un taux d'analphabétisme dramatiquement exponentiel, avec la présence de plus en plus fréquente d'enfants de 5 à 15 ans déscolarisés, ou très mal scolarisés, avec des enseignants laissés à l'abandon, des structures scolaires à peine praticables, des fournitures souvent inexistantes et un système scolaire complètement dépassé. Seules quelques très rares écoles privées tiennent le choc.
Le phénomène n'est pas nouveau puisque nombreux sont les jeunes de 20 à 30 ans qui parlent mal ou très mal le français, preuve malheureusement irréfutable d'une scolarité - francophone par définition - très lacunaire.
Les enfants des rues, de plus en plus nombreux depuis ce que tout le monde appelle "les évènements", vivent dans des conditions épouvantables, chassés et houspillés de tous les côtés, se drogant à la colle ou au tramadol, malades ou avec de graves blessures laissées sans soins, sans nourriture digne de ce nom, condamnés à mendier ou à commettre des vols. Par temps sec ils dorment à la belle étoile, sous des souches d'arbre ou dans des abris de fortune par pluie diluvienne. Certains sont dans la rue depuis quatre ou cinq ans, issus de familles déchirées par la pauvreté et les violences, et ont pour une grande partie entre 9 et 15 ans. Ils ont traversé les temps de brutalités extrêmes et de tueries intercommunautaires à la dure, forcés de se battre pour survivre dans un monde qui leur a volé leur enfance. Rares sont ceux qui savent écrire leur nom ou qui se rappelle du dernier signe d'affection qu'ils ont reçu. Une génération toute entière de perdue, dont le réel impact sur la société centrafricaine ne se ressentira que dans cinq ou dix ans.
La valse des ONG bat son plein et c'est la guerre des drapeaux flottant sur les 4x4, à qui fera le meilleur marketing visuel. "C'est pour augmenter la visibilité" me dit-on à Bangui d'un ton narquois. Tout est question d'argent, le mot "financement" le premier et le dernier mot dans toutes les bouches dans le domaine. Un immense business humanitaire, dont les bénéficiaires ne sont en tout cas pas ceux que l'on mentionne sur le papier, soit les populations nécessiteuses. Un architecte béninois montrait un jour fièrement les superbes habitations qu'il faisait construire quelque part au milieu de nulle part pour les expatriés de je ne sais quelle organisation. La belle vie quoi.
Dans le même ordre d'idée, un géologue doctorant congolais en génie du risque naturel, consultant à Kinshasa, m'expliquait comment les experts expatriés gagnait au moins 1000 dollars par jour, alors que les experts nationaux, possédant souvent les mêmes diplômes universitaires occidentaux, gagnaient à peine 200 dollars par jour. Un système très néocolonial somme toute, avec une culture de l'exploitation et de l'inégalité de traitement devenus la norme.
A Bangui, la Minusca, omniprésente, se laisse dépasser dans des accrochages avec des malfrats souvent connus de tous qui déambulent librement depuis des mois. Les arrangements négociés sont partout. Les évasions de la maison d'arrêt, on en ricane deux minutes à chaque fois, et on passe à autre chose. Pourtant il n'y a qu'une seule grande porte à surveiller à la maison d'arrêt de Ngaragba. Les gros murs style "château fort" bariolés aux couleurs du drapeau centrafricain, couronnés d'un fouillis de barbelés inextricables, n'impressionnent même plus ceux qui ont de l'argent ou des soutiens.
4300 déplacés au camps de M'poko, oubliés. De véritables damnés de la République.
Sous des bâches en plastiques rafistolées avec de la ficelle, ils sont là depuis un an et sept mois. Ils restent, parce que disent-ils, là au moins ils ne sont pas à la merci des braqueurs de leur quartier, où dans leur maison, il ne reste plus de porte ni d'ustensiles de cuisine. Comme aide alimentaire, du savon et du sel. En parcourant ce qui est devenu un immense terrain vague envahi par les herbes, on ne croise guère que des regards éteints par un découragement extrême. Les ONG e sont présentes que par leurs pancartes.
Niveau logistique, l'enclavement du pays est insuffisant pour expliquer la situation dans les provinces, sans parler d'une misère omniprésente inqualifiable. Au nord du pays, de Kaga Bandoro à Ndele, 335 km de piste boueuse et accidentée, on roule pendant 24 heures sans dormir. Tous les axes routiers sont moisis par les braquages incontrôlés. Un cauchemar, c'est le paradis à côté. Un commerce hypothéqué à souhait, les populations vivent dans la famine et le dénuement extrême. Moins loin de Bangui, Bossangoa à 300 km au nord-ouest de la capitale, la malnutrition infantile est dramatique selon un médecin centrafricain sur place.
On dit au peuple centrafricain aujourd'hui qu'il va voter pour son nouveau président avant la fin de l'année 2015. Les plus réalistes se demandent à quoi ça sert encore d'aller voter, en observant, désabusé, le ballet incessant des déclarations de candidature de businessman, d'aventuriers, anciens candidats, anciens maires ou ministres, et autres diseurs de bonne aventure, parmi lesquels se comptent sur les doigts d'une seule main les personnalités qui en valent la peine. Le citoyen lamda a perdu ses illusions. Les plus espérants attendent le Messie. Certains pensent que seule la France peut leur donner un gentil président comme me l'a confié un jour un taximan banguissois.
Les bureaux de recensement de Bangui ont déjà fermé leurs portes depuis bientôt un mois et la plupart des agents recenseurs réclament leur salaire au gouvernement de transition. On n'ose même plus évoquer que le budget ad hoc a "peut-être" déjà été avalé de la façon la plus traditionnelle en RCA depuis un temps.
Dans tout ça, on oublie souvent l'essentiel. Le désarmement....
Sangaris n'était-elle pas arrivée en décembre 2013 pour désarmer les belligérents!? Les Banguissois ont tous vu de leurs propres yeux que le désarmement promis n'a tout simplement pas eu lieu. Dans toutes les chaumières on se demande bien pourquoi la France n'a pas fait ce qu'elle disait qu'elle allait faire: le désarmement.
La Minusca...? En voyant son quartier général et la qualité de son installation, on comprend facilement que, désarmement ou pas, la Minusca ne partira pas de sitôt.
Avec un déploiement maximal autorisé par l'ONU de 12 000 personnels, dont 11 200 soldats, il s'agit bel et bien d'une entreprise à long terme, à but lucratif sans le moindre doute. Un vrai business sur le dos de "la crise" disent certains, tout comme la Monusco à l'est du Congo "démocratique" où se concentre le conglomérat minéral probablement le plus riche au monde. En 15 ans avec actuellement 19 500 soldat de 57 pays, la Monusco n'a pas - encore - réussi à ramener la paix en RDC.
De la question du désarmement à Bangui, une belle source de revenu pour certains, un enrichissement illicite devenu habituel, voire normal, on ne parle même plus de toutes les ressources au bénéfice d'un DDR devenu de plus en plus hypothétique depuis la conclusion du Dialogue National de 2009. Détournements méthodiques et impunité font partie intégrante du système.
En évoquant tout ce fatras, non exhaustif, de rêves massivement cassés à petit feu, on est obligé de conclure que pour l'essentiel il n'y a tout simplement pas de volonté politique en faveur d'une quelconque évolution venant d'en-haut.
Le seul espoir éventuel ne peut donc venir que d'en-bas.
Mais là encore c'est une autre histoire.
Pourtant, le serpent qui se mord la queue, ne dure jamais éternellement. A un moment donné, tiraillé par l'indigestion, il lâchera prise.
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