Assassinée par le système de santé

Rebecca Tickle


Une femme est morte samedi 12 mars aux portes de l'hôpital Laquintinie à Douala, sur un simple pagne à même le sol. Elle s'appelait Monique Koumateke, elle avait 31 ans.

Enceinte de jumelles, elle était à terme. L'accouchement avait commencé à la maison et l'affaire se compliquait. Les deux bébés étaient vivants quand leur maman est arrivée inconsciente aux Urgences de l'hôpital.

L'argent demandé pour la prise en charge n'était pas là, et les médecins et les infirmières avaient refusé de l'assister, malgré l'extrême urgence de la situation.

La maman étant ensuite déclarée décédée, il fallait de toute urgence extraire les jumelles. Malgré la tentative désespérée de la petite soeur de Monique pour sauver les petites, elles sont décédées malgré leur extraction du ventre de leur mère, toujours sans aucune assistance médicale devant la porte fermée de l'établissement.

La petite soeur de Monique est en ce moment en garde à vue en raison de son "acte chirurgical illégal". Et pourtant le contexte camerounais d'une structure hospitalière intensément catastrophique et d'un système sanitaire abandonnant les citoyens camerounais globalement à leur sort est un fait établi depuis des années.

Force est de constater que, malgré l'extrême richesse du sous-sol camerounais, malgré les milliards issus de contrats conclus par le gouvernement avec des partenaires commerciaux internationaux, malgré les immenses ressources humaines et intellectuelles que compte le pays, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, n'est pas capable de garantir les droits humains les plus élémentaires du citoyen camerounais.

Pendant que les dignitaires et autres "nantis" du régime se font soigner en Europe à tout moment, cette femme et ses deux enfants se sont vu violer en un instant leur droit fondamental à l'égalité en droits, et notamment leur droit à la vie.

A une gouvernance assise sur une corruption à outrance et une culture du détournement de fonds publics massifs, s'ajoute une impunité omnipotente et complètement déshumanisante.

L'lntolérable est devenu une norme qu'on ne questionne plus, renforcé par le sempiternel populaire "on va faire comment", qui justifie l'absorption généralisée de l'inacceptable.

Le Directeur de l'Hôpital Laquintinie dirige quoi en fin de compte? Et que dire du traitement réservé au serment d'Hippocrate par un personnel médical en toute connaissance de cause, qui dit entre autre au médecin fraîchement diplômé que "je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice"?

Et le ministre de la santé publique, qui ressemble davantage à un ministre des constructions à but lucratif, qu'a-t-il à dire de la situation inacceptable du refus de patients, particulièrement en danger de mort, par les médecins et les directeurs d'hôpitaux camerounais?

Qu'en dira finalement le Premier ministre et le Chef de l'Etat himself?

Mis à part un taux mortalité élevé connu à la maternité de Laquintinie (on parle de 700 femmes décédées sur 5000 accouchement, soit 14%, et 100 bébés décédés sur 1000 naissances, 10%), que l'on espère voir à la baisse depuis l'ouverture de la nouvelle maternité en février 2016, Laquintinie a notamment été au coeur d'un scandale de trafic d'organes en 2012. En marge de la gestion de la crise, la nécessité d'améliorer la dimension éthique de la profession de médecin avait été mise en exergue. Mais malgré les mesures disciplinaires prises à l'époque, demandées par le ministre de la santé publique, un grave problème de déontologie subsiste de toute évidence. Car licencier du personnel tout en-bas de l'échelle ne peut servir que de couverture à des incompétences au niveau décisionnel.

Trouvera-t-on cette fois-ci un bouc-émissaire (ou couverture) en la personne de la petite soeur de Monique Koumaté qui n'a cherché qu'à réparer, sans succès, la faute d'éthique médicale de non-assistance de personne en danger?

Quant à la société civile camerounaise, tant intérieure qu'extérieure, quel sera son poids pour un progrès durable, si d'aventure des actions conscensuelles et convainquantes sont posées ces prochains jours?

André Mama Fouda, ministre de la santé publique (Cameroun)
En scrutant les antécédents du ministre André Mama, ce sont d'abord les détournements astronomiques de fonds d'aide internationale qui sautent aux yeux. En autre, GAVI Alliance, dans son audit pour la période 2008-2011, avait repéré des fraudes avérées de plus de 850 millions de FCFA sous forme notamment de fausses factures

Si une fois encore rien de sérieux ne bouge à la tête de l'Etat camerounais et dans les hiérarchies médicales et administratives des individus responsables de la non-assistance à Monique Koumaté et à ses jumelles, ce ne sera qu'une victoire de plus à la gloire de l'impunité qui étouffe le peuple camerounais comme un boa constrictor.

En somme, la malgouvernance et le non-respect des droits fondamentaux d'une population et son abandon au profit d'un enrichissement personnel illicite exclusivement, comme cela se passe au Cameroun et ailleurs, n'est ni plus ni moins un crime contre l'humanité.

Les circonstances de la mort de Monique Koumateke et de ses jumelles sont en outre une belle démonstration de la persécution et de la guerre à basse intensité que livre le gouvernement du Cameroun à chaque individu sur sol camerounais, à travers notamment la violation systématique des droits fondamentaux de la personne humaine.

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